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Pauvreté en Arizona : que nous réserve le nouveau gouvernement ?

BAPN, le Réseau belge de lutte contre la pauvreté, et ses réseaux régionaux, s’inquiètent de voir dans le nouvel accord de gouvernement des projets susceptibles d’aggraver la pauvreté en Belgique. Ils appellent l’Arizona à la concertation dans la mise en œuvre de ses mesures socio-économiques phares et à la prise en compte de l’expertise de vécu des premier.e.s concerné.e.s pour éviter les plus gros écueils.

Parmi ces mesures, la limitation du chômage dans le temps en est une qui inquiète particulièrement BAPN. « Ça peut paraître contrintuitif, mais vous ne poussez pas une personne au travail en lui coupant ses allocations de chômage, et encore moins si sa situation est précaire », indique Caroline Van der Hoeven, coordinatrice de BAPN. « Chercher un emploi coûte de l’argent : il faut une connexion internet, payer son moyen de transport pour postuler, faire garder ses enfants pour pouvoir se former… Si vous manquez d’argent, vous allez au-devant d’une série de problèmes cruciaux (perte de logement, problèmes de santé, endettement…) qui vont mobiliser tout votre temps et vos ressources, qu’elles soient financières ou mentales. »

Effets dominos

Mais puisque, malgré ce constat, l’Arizona a inscrit la limitation du chômage dans son programme, des effets dominos devront être anticipés. Comment le gouvernement évitera-t-il, par exemple, que les personnes exclues du chômage ne disparaissent du radar ? Qu’elles ne viennent grossir le chiffre noir des citoyens ni au travail ni au chômage ni en trajet d’accompagnement, comme cela s’est déjà produit lorsque les allocations d’insertion ont été conditionnalisées pour les jeunes ? Dans le même temps, le nouvel exécutif devra nécessairement faire face à l'augmentation des coûts de santé, du recours accru aux services sociaux, du surendettement et des frais de justice qui en découleront pour la collectivité. Et qui risquent bien d’annuler les économies envisagées par cette mesure.

Enjeux en cascade

BAPN attire également l’attention du gouvernement sur d’autres risques encourus. Celui d’aggraver le non-recours aux droits, par exemple. Actuellement, près de 40 % des personnes éligibles à un revenu d’intégration social ne bénéficient pas de cette aide. L’Etat fédéral devra s’assurer que les personnes exclues du chômage trouvent bel et bien le chemin vers l’assistance sociale lorsqu’ils en ont besoin. Sans ce soutien d’appoint, ces personnes basculeront – plus profondément encore – dans la pauvreté et verront leurs chances de réintégrer le marché du travail réduites à peau de chagrin. Parallèlement, les CPAS, déjà saturés, devront être en mesure d’accueillir ce nouveau flux de demandeurs dans des conditions propices à l’émancipation de tous. Alors que l’expérience de terrain montre les limites du système actuel [inaccessibilité des services, qualité de l’accompagnement qui se dégrade, longues listes d’attentes…], on est en droit de se demander si cette institution est le meilleur endroit pour accompagner les demandeurs d’emploi vers le marché du travail.

Envisager les angles morts

« Seul le dialogue direct avec les personnes ayant un vécu en pauvreté permet de révéler les angles morts de politiques pensées par ceux qui n’y ont jamais été confrontés », estime Caroline Van der Hoeven. « La pauvreté n’est pas une question de responsabilité individuelle, de bons citoyens qu’il faudrait récompenser et de mauvais citoyens qu’il faut mettre dans le coin », souligne-t-elle. « La pauvreté s’explique par des causes structurelles, organisées, qui sont les conséquences de décisions politiques. Mais sans écouter les personnes elles-mêmes, il est difficile de comprendre ces mécanismes et les liens de cause à effet. »

Nombreuses questions en suspens

D’autres questions sont soulevées par le nouvel accord de gouvernement. Quel sera le sort des personnes qui vivent avec une assistance sociale lorsque l’ensemble des allocations et des aides sera plafonné ? On rappellera que les aides en matière de dépenses d’énergie, de santé ou de mobilité servent à répondre à des besoins essentiels que les allocations ne couvrent pas. Et que la quasi majorité de ces allocations se trouvent aujourd’hui encore sous le seuil européen de pauvreté. Quelles seront les conséquences pour les réfugiés reconnus, qui devront désormais attendre cinq ans pour pouvoir bénéficier d’un RIS ? Les verra-t-on contraints d’accepter des conditions de travail dégradantes, voire exploités, poussés dans le cercle vicieux de la pauvreté ? Quid d’une transition écologique et numérique juste et inclusive ? Quant à l’introduction de la procédure IOS, ne risque-t-on pas d’aggraver les problèmes des personnes surendettées en court-circuitant d’importants mécanismes de protection des consommateurs, tels que le passage devant un juge ?

C’est un chantier socio-économique d’envergure dans lequel l’Arizona s’est engagé. Or pour éviter une nouvelle vague de pauvreté en Belgique, il faudra s’assurer d’envisager les conséquences sur tous les maillons du filet de sécurité belge. BAPN prendra les prochaines semaines pour examiner la déclaration dans les détails et proposer des solutions à la lumière de l’expertise des premières et premiers concerné.e.s, les personnes en situation de pauvreté elles-mêmes.