Intégration professionnelle des chef.fes de familles monoparentales et égalité des chances des enfants élevés en situation de monoparentalité
Les parents solo courent le plus haut risque de pauvreté en Belgique (39,5 %, contre 27,2 % pour une personne isolée et 14,4 % pour les ménages de deux adultes avec enfant). Le 2 juin 25, Caroline Van Der Hoeven, coordinatrice de BAPN, et Christine Mahy, secrétaire générale du RWLP ont pris la parole lors d’une audition au Sénat concernant l'intégration professionnelle des chef(fe)s de familles monoparentales et l'égalité des chances des enfants élevés en situation de monoparentalité. Ce fut l’occasion de matérialiser la réalité derrière ces chiffres, au nom des 4 réseaux régionaux de lutte contre la pauvreté.
Plus de 2,1 millions de personnes, soit 18,2 % de la population, courraient un risque de pauvreté en 2024 (chiffres Statbel, 29/01/25). Au cours des trois dernières décennies, ce nombre est resté obstinément stable dans notre pays (cf. Jaarboek armoede 2021, Université d'Anvers). On a même pu observer une légère tendance à la baisse ces deux dernières années, grâce à une meilleure protection des revenus et à l’augmentation des emplois stables et à temps plein dans les ménages les plus éloignés du marché du travail. Mais derrière ces chiffres encourageants se cache une réalité plus nuancée, celle d’une population précarisée en léger recul en nombre, mais touchée plus durement et durablement par la pauvreté. Les 50.000 personnes sans-chez-soi ou l’augmentation de la demande auprès des banques alimentaires ne sont que quelques signaux parmi d’autres révélant cette tendance.
Or les mesures annoncées par le gouvernement Arizona (flexibilité accrue du marché de travail, limitation du chômage dans le temps, activation et contrôle accru des malades de longue durée, non prise en compte des périodes de maladie pour la pension, suppression de l’enveloppe bien-être…) font craindre une aggravation de la situation dans les prochains mois. Sans compter les grands défis que posent le changement climatique et la nécessité d’une transition écologique juste, la digitalisation, les enjeux énergétiques, la guerre en Ukraine, l’équilibre des finances publiques…
Situation à risque pour les parents solos
Les familles monoparentales courent le risque le plus élevé de pauvreté : 39,5%, contre 27,2% pour une personne isolée ou 14,4 % pour un ménage de deux adultes avec un ou plusieurs enfants.
Chiffres Statbel, 29/01/25
Comment expliquer ce risque élevé ?
- Un grand nombre de familles monoparentales ne peuvent compter que sur un seul revenu, alors que les frais fixes sont les mêmes que pour d’autres ménages.
- Les parents solos portent seuls les tâches inhérentes à la charge d’enfant(s), ce qui implique de nombreuses contraintes dans une société exigeant une grande flexibilité et disponibilité des parents et de travailleurs.
- Une grande majorité des parents solos sont des femmes, or les femmes rencontrent plus d’obstacles structurels dans l’accès au travail que les hommes : écarts salariaux, temps partiel involontaire, surreprésentation dans les métiers essentiels mais sous-payés (soins, soins infirmiers, nettoyage, etc.)…
« Aujourd’hui est un de ces jours que, j’en suis sûre, tous les parents reconnaîtront, surtout s’ils sont seuls. Et si en plus ils ou elles vivent dans la pauvreté, ils sauront parfaitement de quoi je parle quand j’évoquerai les obstacles auxquels nous nous heurtons et les angoisses qui nous oppressent. Quand les enfants se lèvent malades le matin, le stress nous submerge, nos sentiments et nos pensées sont un long tunnel noir.... Je n'ai pas le droit de faire appel au service de garde d’enfant malade parce que je suis une formation et je ne travaille pas. Je n'ai pas le temps d'aller chez le médecin parce que je ne peux pas me permettre d’être une nouvelle fois absente. Et puis quelles seraient les conséquences d'une nouvelle absence ? Que ce soit pour un contrat à durée indéterminée, un intérim ou une formation. A plusieurs reprises dans le passé, j'en ai payé les conséquences : un contrat temporaire qui n'est pas renouvelé, une formation qui s'arrête parce que j'ai trop d’absences, même si elles étaient légalement justifiées. Lorsque mon enfant se lève malade le matin, ce sont ces conséquences qui occupent mes pensées. Je suis sûre qu'il en est de même pour beaucoup d'autres. Et puis, il y a la hausse des prix de l'énergie, de la nourriture, des produits d’hygiène – tous des besoins de base : c’est une source constante de stress. Il est extrêmement difficile de joindre les deux bouts chaque mois et la peur de s'endetter à nouveau est grande. Je dois toujours peser le pour et le contre : soit payer une facture, soit acheter les médicaments nécessaires. Je dois économiser sur le soins de mes enfants. Quant à moi, cela fait bien longtemps que je rogne sur mes propres soins. Il y a trois ans, avec 60 euros, je pouvais acheter de la nourriture pour une semaine entière ; aujourd'hui, avec la même somme, je n’en ai que pour quatre jours de nourriture. » Témoignage d'une mère célibataire de jumeaux de 8 ans.
Est-ce que c’est une fatalité ?
Bien sûr que non ! Pour éradiquer cette pauvreté, BAPN appelle des mesures structurelles basées sur les droits :
- en appliquant le principe d’universalisme progressif,
- en renforçant la coordination entre les différents niveaux de pouvoir pour une approche plus efficace et holistique, e.a. au sein de la Conférence interministérielle,
- en utilisant des leviers fédéraux tels que les revenus, le travail et l’implémentation de la Garantie européenne pour l’enfance.
Recommandations en matière de revenus
Garantir des revenus et des allocations dignes couvrant les besoins de base reste le moyen le plus efficace d’éviter la spirale négative de la précarité : un revenu au-dessus du seuil de la pauvreté crée l’espace mental indispensable pour s’occuper d’une famille, planifier à moyen et long terme et chercher un emploi. On veillera donc à :
- augmenter les revenus et allocations les plus basses au-dessus du seuil européen de pauvreté,
- supprimer le statut co-habitant,
- garantir les besoins fondamentaux de tout un chacun au moyen d’allocations et d’avantages sociaux adéquats (un avantage social n’est pas une source de revenu et ne peut donc pas être prise en compte comme tel dans le calcul des revenus),
- donner accès aux avantages sociaux en fonctionne des revenus, et non du statu, de manière à soutenir les travailleurs précairs,
- garantir des salaires adéquats,
- ne pas pénaliser financièrement les personnes en travail partiel involontaire, obligées de combiner salaire et allocations pour bénéficier d’un revenu digne.
Recommandations en matière d’accès à un emploi de qualité et à l’intégration sociale
Le travail et l’intégration sociale forment une protection essentielle contre le risque de pauvreté, à condition de respecter un certain nombre de conditions nécessaires :
- une orientation et un accompagnement sur mesure vers un travail de qualité et durable dans un contexte de confiance et tenant compte de tous les domaines de vie (situation familiale, santé mentale et physique, mobilité, absence ou présence d’un réseau de soutien…)
- l’accès à des structures d’accueil de l’enfance de qualité et abordables (cfr l’arrêt de la cour constitutionnelle annulant la priorité d’accès aux structures d’accueil pour les parents travaillant à 4/5e ou plus en Flandre).
- la pérennisation au sein des CPAS de pratiques telles que le projet Miriam assurant un accompagnement individuel et collectif de parents solo au moyen d’une approche holistique et un cadre scientifique,
- l’amélioration de la mobilité :
« On pourrait envisager de troquer notre voiture contre un vélo, par exemple. C’est bien si tu habites en ville, mais quand tu habites plus loin, comme moi, dans le Westhoek, ce n’est pas si facile. Je devrais rouler une demi-heure sur une chaussée super dangereuse pour arriver à la première école, puis un quart d’heure de plus jusqu’à la seconde. Et comme la garderie ouvre tard, le matin, je n’ai pas assez de temps pour me rendre à ma formation sans arriver en retard. Chaque choix auquel on est confronté aura un énorme impact sur nos revenus et nos dépenses. Personnellement, c’est comme si je me noyais depuis des années alors que je dépense toute mon énergie à nager sans discontinuer. »
Témoignage d’une personne en situation de pauvreté
Recommandations en matière d’égalité des chances pour les enfants
La Belgique s’est engagée à sortir 93.000 enfants de la pauvreté d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, il est plus que temps d’implémenter la Garantie européenne pour l’enfance en Belgique :
- Garantissez un accès gratuit et effectif à un enseignement de qualité, des services d’accueil de la petite enfance, des activités éducatives, des activités scolaires et un repas sain par jour d’école ;
- Assurez un accès effectif et libre à des soins de santé de qualité ;
- Facilitez l'accès à une alimentation suffisante et saine, notamment par le biais du programme européen pour la consommation de fruits, de légumes et de lait dans les écoles ;
- Garantissez un accès effectif à un logement adéquat.